L'Ile-de-France, c'est une campagne qui se racornit.
«Adrien, tu te considères comment ?» lance à un client le patron du bar de l'Hôtel du Cheval Blanc à Bonnières-sur-Seine, (69 kilomètres de Paris, à l'ouest). L'intéressé répond un tonitruant : «Yvelines !» Tarik explique que les banlieusards jugent ceux de Bonnières comme des campagnards. A l'autre bout du comptoir, on entend un «t'es un bon bouseux, c'est pas une honte».
Nicolas vit dans un pavillon à Freneuse. «Je suis pas parigot, je suis pas de la banlieue, je suis entre les deux.» Quand il part en vacances dans le sud, il explique à ceux qui lui demandent où il vit : «Je suis parisien. Ça situe plus que de dire un petit bled.»
L'identité, c'est flou. Dans la zone pavillonnaire, Anicette, retraitée, se définit comme une «fille de Mantes» où elle est née. «Je ne vais pas dire je suis francilienne. Je suis de l'Ile-de-France. A la limite, de la Normandie.» Ogurcan et Ayoub, 13 ans, sont enfants de Bonnières. Ils grimpent un escalier qui mène à leur - petite - cité. Pour eux, l'identité qu'on se donne est fonction de l'âge. Ils disent «banlieue» et les vieux plutôt «campagne». Les plus grands qu'eux, ceux de 20 ans, disent «bled paumé».
Mahaut, paysagiste à Paris, ne se dit «pas Parisienne. Je dis que j'habite Paris. Parisienne, cela relève de l'identité, être à Paris, c'est y vivre». Pour les habitants de Mantes, avec qui elle travaille, elle est « la Parisienne. Eux, ils sont de Mantes.» L'Ile-de-France, selon Mahaut, c'est «la lumière du ciel», quelque chose qu'on ne trouve pas à Paris.
Bray-sur-Seine (Seine-et-Marne), 2 600 habitants, aux confins de l'Ile-de-France à 90 kilomètres au sud-est de la capitale, est frontalier avec l'Yonne et l'Aube. «Ici, c'est la campagne sans être la campagne. Les gens ne sont pas stressés de la même façon.» Bray dispose de sa petite zone industrielle, avec des pavillons fraîchement construits. Cela fait deux mois que Stéphanie, 30 ans, habite là. Elle vient de Créteil. «Paris ne m'attire plus du tout, reconnaît-elle. Les gens sont trop énervés. Tous ces immeubles. Tous ces murs, c'est vraiment trop différent. Ici, on revit. On est moins stressés, moins fatigués.» A l'agence immobilière Gil, les annonces sont libellées : «Vue sur la campagne» ou «amoureux de la nature». Fabienne et Nathalie remarquent que des gens vendent au bout d'un an «parce que c'est trop loin». Claude Devrine est retraité, un vrai Braytois. Il a, vis-à-vis des nouveaux arrivants, un regard étonnant : «Ils croient que c'est Paris. Ils se pensent en banlieue. Ils demandent à quelle heure il y a un train.» «La dernière fois que j'ai pris le train à Nangis, je l'ai attendu trois heures», dit le seul occupant de l'autocar qui relie Bray à la gare de Nangis, d'où l'on prend le train pour Paris. Ginette, 83 ans, accroche des graines aux oiseaux. Ses voisins décollent à 5 h 30 et rentrent à 20 heures.
«Ce n'est pas le même monde», dit Ginette.
Didier ARNAUD - Libération
Franciliens, a journey around Paris |